Qui sauvera la Guinée des griffes de Conté
Guinée
Si le général Kerfalla avait l'étoffe d'un ATT
Les conférences des chefs d'Etat et de gouvernement, entre discours soporifiques, propos convenus et déclarations finales lapidaires seraient d'une banalité affligeante et particulièrement éprouvante pour les journalistes commis à leur couverture si elles n'étaient souvent rattrapées par l'actualité brûlante, qui a toujours son mot à dire.
Les sommets de la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et de l'Union économique et monétaire ouest-afriaine (UEMOA) qui viennent de se tenir vendredi et samedi à Ouagadougou n'auront pas échappé à la règle.
Faute sans doute de consensus entre les différents prétendants, notre compatriote Damo Justin Baro n'a pu transformer son essai d'intérimaire au gouvernorat de la BCEAO depuis la nomination de Charles Konan Banny le 4 décembre 2005 comme Premier ministre de Côte d'Ivoire. Pas plus que le Malien Issa Coulibaly dont l'intérim à la présidence de la BOAD (après l'élection de Yayi Boni au Bénin) a été également prorogé. Les deux joueront donc à nouveau les prolongations.
Restait la crise ivoirienne, omniprésente à toutes les rencontres depuis maintenant 4 ans ; mais le Sommet de la capitale burkinabè ayant été précédé de l'acceptation, par le rassemblement des Houphouétistes (dont le PDCI et le RDR) de la proposition faite par Laurent Gbagbo de négocier directement avec les Forces nouvelles, les chefs d'Etat n'ont fait que se glisser dans cette brèche ainsi ouverte. Sans qu'on ne sache vraiment où elle va conduire.
Car, que l'ONU, le GTI, la Licorne... et tous ces affreux intermédiaires qui ont l'outrecuidance de fourrer leur nez dans les affaires domestiques de l'Eburnie, ou même Konan Banny, mis sous l'éteignoir, soient là ou pas, on se demande si l'enfant terrible de Mama obtiendra le désarmement des rebelles si ceux-ci n'ont pas des garanties quant à la (ré) intégration dans le fichier électoral des Ivoiriens de seconde zone qui en avaient été exclus sur fond de délit de patronyme. Négociations directes ou pas, Guillaume Soro ne peut pas exiger moins que ce nœud gordien à trancher pour que la machine de la paix redémarre. Mais les princes qui nous gouvernent ne s'attardent sans doute pas sur ces détails.
Et on se rendra tout de suite compte que le nouveau dead-line d'octobre 2007 pour la tenue des élections ne pourra être respecté, faute d'avancées significatives. Mais puisque Gbagbo ne veut plus de quelqu'un entre lui et Soro, eh bien, allons-y !
Finalement, l'événement donc à Ouaga 2000 aura été la situation en Guinée, qui s'est naturellement invitée à la table des illustres conférenciers.
Bien portant, Lansana Conté, qui ne se rappelle même pas quelquefois le nom de certains de ses homologues, n'était déjà pas un habitué de ces jamborees présidentiels. Alors, ce n'est pas maintenant qu'il est rongé par un méchant diabète et une leucémie impitoyable qu'il allait faire le déplacement de Ouaga.
En fait, le plus grave pour ce pays, c'est moins la maladie de son chef que son état de décomposition socio-économique et politique avancée, même si les deux sont quelque peu liés.
Le Sommet de la CEDEAO se tenait, on le sait, alors que la grève générale illimitée déclenchée par l'Intersyndicale des travailleurs durait depuis une dizaine de jours. Les syndicats protestent contre le corruption et les détournements de fonds publics, l'ingérence du premier magistrat dans les affaires judiciaires (1) et pour de meilleures conditions de vie et de travail, notamment le quadruplement des salaires et la baisse des prix de certains produits de première nécessité comme l'essence ou le riz.
A titre d'exemples, dans un pays où le salaire moyen du fonctionnaire oscille entre 80 000 et 150 000 francs guinéens (FG), où un ministre gagne 450 000 FG et un député 750 000 FG, il faut 8 000 FG par jour pour le transport entre la banlieue de la capitale et le centre-ville tandis que le sac de riz de 50 kg va chercher dans les 120 000 FG.
"Dans ces conditions, mieux vaut, pour ne pas appâter tout le quartier, tout fermer avant de mettre sa marmite au feu, car ceux qui mangent une fois par jour sont chanceux", explique un résident de Conakry. On en rirait presque si la situation n'était pas aussi dramatique.
Une première grève générale avait certes permis, il y a quelques mois de cela, d'arracher un relèvement de 30% des salaires de la Fonction publique et l'instauration d'un salaire minimum, mais la dévaluation du franc guinéen puis la suppression des subventions sur les hydrocarbures sont venues anéantir ces pauvres gains.
Conté donc, 72 ans, se consume lentement, mais sûrement et son pays se meurt avec lui. Car, pour toute réponse à la détresse de ses compatriotes, ce sont des menaces et des violences. Quand il ne dit pas aux syndicalistes venus discuter avec lui "Je vais vous chicoter", il fait tirer sur les foules de manifestants, fauchés par les balles assassines de l'armée et de la police à Mamou, Labé, Nzérékoré, Conakry... Hier, au douzième jour du mouvement enclenché le 10 janvier dernier, on comptait déjà 9 morts.
Pour trouver une solution à cette crise, l'Intersyndicale et de hauts responsables étatiques sont en pourparlers depuis samedi et Conté, qui a remplacé son superministre chargé des Affaires présidentielles (2), s'était pourtant dit prêt à lâcher du lest par la baisse du prix de l'essence, la hausse des salaires des enseignants, l'arrêt des exportations des produits alimentaires, le démarrage d'une campagne anticorruption au sein de la police ; mais les syndicats, désormais braqués, ne veulent plus en attendre parler.
Tout cela étant un problème de gouvernance, les revendications, d'abord corporatistes, ont du reste très vite pris une coloration politique. Ainsi, de la nomination exigée d'un Premier ministre civil et de la formation d'un gouvernement d'Union nationale, voire même un coup d'Etat constitutionnel vu l'état de santé du grabataire de Wawa.
C'est dans ces conditions que la CEDEAO, qui a laissé la situation pourrir, a annoncé à Ouagadougou l'envoi d'une médiation régionale qui devrait être conduite par le Sénégalais Abdoulaye Wade (en campagne présidentielle) et Olusegun Obasangjo (en fin de mandat).
Une médiation d'avance vouée à l'échec avec un Conté aussi buté, un chef de village arriéré qui a entraîné dans l'abîme son pays, otage de son propre président.
Mais ça ne peut plus durer. Faut-il attendre que la Faucheuse libère la Guinée de son démon alors qu'on ne sait pas quand elle viendra ?
Alors que les morts commencent à s'entasser dans ce pays potentiellement riche, mais dont le malheur est de se taper coup sur coup deux dictateurs obtus en bientôt 50 ans d'indépendance, l'idéal serait une solution à la malienne qui viendrait balayer ce despote (aux affaires depuis 1984) et toute cette racaille qui gravite autour de la galaxie présidentielle, attendant que l'ogre meure pour se disputer les landaus de la charogne.
Et c'est peut-être pour cela que la CEDEAO aurait dû ajouter à ses missi dominici un certain Amadou Toumani Touré, artisan de la révolution qui emporta en mars 91 un certain Moussa Traoré au moment où les cadavres jonchaient les rives du Djoliba.
Dommage que le général Kerfalla Camara, le chef d'état-major de l'armée guinéenne, n'ait pas l'étoffe d'un ATT.
Car, si dans le principe, il faut en bonne démocratie prêcher le passage par les urnes comme seul mode de dévolution du pouvoir et ne pas encourager les voies non constitutionnelles, il est des fois où les révolutions de palais ou les coups d'Etat en règle sont les seules solutions qui restent pour sauter le bouchon afin que l'horizon se dégage.
On l'a vu en août 2005 en Mauritanie, on ne versera pas des larmes de crocodile si, demain, ça devait être le cas en Guinée.
Et les gourous de la CEDEAO, qui sont incapables de voler véritablement au secours du peuple guinéen, ont aujourd'hui bon dos de parler de "moyens non violents pour trouver une solution à la crise".
La rédaction
(1) Le 16 décembre 2006, Lansana Conté en personne était allé à la prison de Coronthe libérer son ami Mamadou Sylla, milliardaire et patron des patrons guinéens
(2) Fodé Bangoura qui détenait la réalité du pouvoir et qui avait fini par cristalliser toutes les haines et les ressentiments des populations.
Source L'Observateur Paalga du 22 janvier 2007
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