Sénégal : Leçons d'une alternance pas si piégée que ça
Réélection de Wade
Leçons d'une alternance pas si piégée que ça
L'alternance n'était pas si piégée que cela contrairement à ce qu'a soutenu Abdou Latif Coulibaly (1), puisque pour la seconde fois, Abdoulaye Wade vient de signer un bail avec l'Avenue Léopold-Sédar- Senghor, siège de la présidence sénégalaise.
En effet, à l'issue de la présidentielle du 25 février dernier, Cheick Tidiane Diakhaté, le patron de la Commission nationale de recensement des votes (CNRV), a officiellement proclamé, le 1er mars, vainqueur le chef de l'Etat sortant avec 55,86% des voix, soit 1 910 368 voix sur les 3 419 751 que constituaient les suffrages exprimés. Wade devance largement ses 14 concurrents, notamment son ex-dauphin, Idrissa Seck (14,93%), le candidat du Parti socialiste (PS), Ousmane Tanor Dieng (13,57%), et le candidat de la coalition populaire pour l'alternance (CPA), Moustapha Niasse (5,93%).
L'une des premières leçons de ce scrutin majeur est que le pape du Sopi a déjoué tous les pronostics, qui tablaient sur un second tour. Sept ans donc après le 19 mars 2000, bis repetita pour "Gorgui" (le vieux en wolof), qui s'offre encore les leviers du gouvernail sénégalais pour 5 ans. Et pourtant, rien n'était joué d'avance.
- Il y a d'abord l'âge du capitaine, octogénaire, qui fait que de nombreux observateurs étaient enclins à penser que le pays de la Terranga allait effectuer un changement générationnel ou du moins, allait renvoyer le "vieux" se reposer. Las ! non seulement le peuple lui renouvelle sa confiance, mais le célèbre crâne rasé du Sénégal prouve, 7 ans après sa première victoire, qu'il est réellement un "cas pathologique de bonne santé" (2), à travers ses différentes randonnées électorales.
- C'est aussi vrai qu'au lendemain de son élection en 2000, l'homme a beaucoup promis, multipliant les projets, a telle enseigne que son bureau est plein de maquettes, d'où le surnom de "monsieur Projets" qu'on lui colle. Des projets, bien sûr, qui n'aboutissent pas tous...
- La proximité de sa famille, Mme Wade, Karim et Sindiely ses enfants, avec le pouvoir, qui n'arrange pas les choses aussi, car donnant la vague impression que le Sénégal est dirigé par la famille Wade;
- enfin les scandales politico-financiers, les emprisonnements de journalistes et d'opposants politiques ont écorné l'image de celui qui a couru après le fauteuil présidentiel pendant un quart de siècle.
N'empêche, les Sénégalais ont voulu continuer l'aventure politique avec Abdoulaye Wade, d'où la seconde leçon de cette victoire, c'est-à-dire la position inconfortable dans laquelle a été reléguée l'opposition dans son ensemble.
L'autre aspect didactique de ce scrutin donc est que les opposants ont désappris. D'abord, le P.S. est l'un des grands perdants de ce vote. Le champion de ce parti qui dirigea le pays de 1960 à 2000, en recueillant ce score minable, ayant été battu même dans son fief de Mbour, met ainsi à nu, qu'en tant qu'opposant il n'a pas su convaincre les électeurs. Les héritiers d'Abdou Diouf payent cash, selon certains observateurs, les conséquences du fameux congrès de 1996, "Congrès sans débat", au cours duquel un certain Tanor Dieng avait été imposé par Diouf au grand dam des Djibo Ka, Abdoul Khadre Cissoko et autre Moustapha Niasse (3).
Ce dernier, du reste, va barboter dans la déception, car de faiseur de roi en 2000 (avec 17%), il se retrouve 7 ans après avec moins de 12 points des suffrages de la première alternance.
Un gagnant tout de même dans cette opposition, Idrissa Seck, qui engrange presque 15%, devenant ainsi le premier opposant au PDS, son parti d'origine. Un score qui lui permettra de discuter avec le parti libéral, même si, à en croire Wade, les "ponts sont rompus". Encore qu'en politique, il ne faille de rien préjuger, surtout que le maire de Thiès a brouillé l'image de ce scrutin, en rencontrant, par deux fois, son père spirituel les 22 et 24 janvier derniers, pour un "deal" dont les tenants et les aboutissants restent à déchiffrer encore.
Désillusion alors pour ces opposants, dont la plupart ont été les artisans de la victoire de Wade en 2000, qui se retrouvent ainsi délaissés en rase campagne. Une opposition qu'on ne saurait absoudre en totalité, car contrairement, par exemple, au Burkina, où de nombreux opposants sont des impécuniers notoires, au Sénégal, par contre, les opposants du moins, ceux d'une certaine stature, ne sont pas des culs terreux.
Un Niasse ou un Tanor Dieng ont des trésors de guerre politique, et, n'eût été le fait que Wade est au pouvoir, peuvent se mesurer à lui sur ce plan.
Si donc cette opposition a récolté cette déculottée, elle n'a qu'à faire sa propre introspective, car ses faiblesses insignes ont pour nom, division et guéguerres de leadership, car passant souvent le temps à faire de l'opposition urbaine sur les radios FM et les chaînes internationales. On peut naturellement reprocher à Wade d'être en campagne depuis 7 ans, avec les inaugurations et les projets pharaoniques, qui ne trompent personne, mais a-t-il empêché ses adversaires d'aller vers leurs mandants ?
Eu égard à toutes ces petites leçons d'un vote qui a livré son verdict, on ne saurait suivre les opposants sénégalais jusqu'au bout de leurs analyses. Ce scrutin n'a pas échappé aux votes multiples, à l'absence de nombreuses cartes d'électeurs, et sans doute, il y a eu des fraudes de tout ordre, bref, le processus électoral comporte des lacunes. Mais in fine, les analystes et les observateurs s'accordent à reconnaître que ce ne fut pas une élection de pacotille. Dit autrement, le vainqueur a vraiment gagné dans la légalité et la transparence, les perdants l'ont été également.
La grande question demeure évidemment: que va faire Wade de cette victoire ? Passée sa colère, longtemps contenue, élection oblige, va-t-il réellement astreindre Niasse et compagnie devant la justice, pour des affaires dont il avait requis la mise en veilleuse ? On peut reprocher au nouvel élu cette propension à brandir des épouvantails judiciaires pour mettre au pas ses opposants, mais ceux-ci également doivent savoir raison garder et ne pas trop charrier, car Wade, ayant la force légale avec lui, pourrait les fouetter tranquillement. Dias père et fils et Idrissa Seck le savent bien...
Enfin, ce quinquennat, Wade devrait le consacrer à résoudre dans l'urgence les problématiques énergétiques (coupures d'électricité, rupture de gaz, augmentation du prix du carburant...) sans oublier le chômage endémique avec son corollaire qu'est l'immigration... Mais peut-être aussi que l'homme projette de passer la main d'ici 4 ans à un dauphin qui doit être "intelligent, travailleur, sérieux... comme moi".
Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana
Source, L’Observateur Paalga du 5 mars 2007
Note:
(1): Abdou Latif Coulibaly, Wade au pouvoir, l'alternance piégée;
(2): Cheick Diallo, si près, si loin avec Wade
(3): Le 30 mars 1996, en 6 heures d'horloge, s'est tenu un congrès du PS, au cours duquel Abdou Diouf, voulant un PS new-look, a imposé Tanor comme son premier secrétaire. Le parti a implosé après.
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