Smockey : Un poète du bitume
Smockey
Un poète du bitume
Smockey est un artiste burkinabé très connu dans le mouvement Rap africain. Arrangeur, producteur et distributeur avec sa structure Abazon, il a contribué à donner au mouvement sa notoriété. Avec Didier Awadi, il en est même la locomotive en Afrique. Il est compositeur de textes à succès. C’est aux procédés d’écriture de ses chansons que nous nous sommes intéressé.
De Serges Bambara alias Smockey, on sait presque tout du parcours atypique. Comment ce jeune homme a plaqué une carrière émergente et pépère de maître-queux et de rappeur en France pour revenir au Pays de ses pères au moment où tous les jeunes burkinabé rêvent de faire son parcours à rebours.
Comment à force de travail, il a réussi à sortir le Rap de l’underground, à l’imposer comme genre musical majeur et à faire de Ouaga, la plaque tournante du Rap africain grâce à son Studio Abazon. On sait aussi qu’il est celui qui a lancé le concept de Boys Band de vacances avec le Gouvernement pour promouvoir la musique burkinabé dans les night-clubs et cela a donné naissance à des groupes comme le Pouvoir ou la Cour Suprême. On connaît son engagement social, son refus d’emboucher la trompette de la flagornerie et son ironie caustique qui met le doigt sur les plaies de la « mal gouvernance » et des lourdeurs de la tradition.
En somme, on connaît l’homme engagé, l’arrangeur de talent et le critique acerbe ; mais le prosateur, le chercheur de phrases qui écrit des textes très accrocheurs est passé sous silence. D’ailleurs le choix de l’artiste d’apparaître sur son dernier opus, un stylo à la main, pensif devant une feuille blanche, participe, peut-être inconsciemment, du désir de revendiquer un statut de poète du bitume.
La poésie semble, en effet, avoir déserté les sphères aseptisées de l’intelligentsia pour se réfugier dans les textes psalmodiés par les rappeurs et les slameurs. Par quels procédés spécifiques orchestre-t-il son écriture ? Quels sont ses modèles littéraires et politiques ? Et la résolution de l’énigme : pourquoi ce jeune homme, qui dit n’avoir jamais brillé à l’école, se révèle un destin de premier de classe tant tout ce qu’il entreprend est couronné de succès ?
Aussi avons-nous pensé que seule une rencontre avec l’homme permettrait d’apporter des réponses à nos interrogations.
Face à Smockey, il y a deux choses qui vous frappent et révèlent, mieux que toute investigation de psy, la personnalité de l’artiste : son regard et sa voix.
«Les yeux sont le reflet de l’âme» n’est pas un aphorisme de pure vacuité quand on l’applique à Smockey. Ses yeux sont un foyer incandescent où se consume quelque forte passion quand il parle de son métier ou des hommes qu’il admire. On se dit alors que rien de mesquin ni de bas ne peut traverser ce regard sans être pulvérisé par la flamme qui y brûle.
S’y lit aussi une certaine fraternité pour les hommes de toutes conditions. N’a-t-il pas écrit en exergue sur l’album Zamana : «J’ai foi en ce que l’homme s’améliore» ? Quant à sa voix, elle est puissante. Il est des voix qui naissent dans la gorge, d’autres qui partent du ventre. Celle de Smockey est si enracinée et si solidement arrimée à la moindre parcelle de son corps de Colosse de Rhodes.
Elle n’est pas une partie de l’homme, elle est l’homme. De sorte qu’elle le manifeste dans son entièreté. Ainsi donc, à entendre cette voix, on comprend ses engagements. Smockey est un concentré de volonté et de défi. S’il avait été soldat, prêtre ou sportif, il aurait été conquérant ou fondateur d’Eglise ou chasseur de records. Mais il récuse la casquette de Chef du mouvement Rap. Ni maître ni disciple ; juste homme de devoir habité par la hantise de vivre inutilement.
Smockey a un discours fidèle à ses textes et à ses engagements. Par là, il est différent de beaucoup de rappeurs aux textes très engagés qui manifestent une conscience sociale ou politique très aiguë, mais aux discours si insipides que le soupçon qu’ils n’écriraient pas leurs textes et utiliseraient des nègres, pèse.
A quelle source puise-t-il son inspiration ? Smockey avoue peu fréquenter les écrivains africains ; il ne connaît que les classiques étudiés au lycée. Pour les essayistes, il a lu Cheick Anta Diop, mais connaît peu l’œuvre du professeur Ki-Zerbo qu’il admire pourtant. Son panthéon personnel n’est pas très différent de ceux de sa génération ; celui-ci accueille Thomas Sankara, Public ennemy, Malcolm X, Fidel Castro…
Smockey est un créatif très visuel parce que le cinéma influence son écriture. Lui-même est un mordu du cinéma noir hollywoodien des années 30-50 et des films de Tarantino. Ses textes sont des historiettes qui peuvent être visualisées. Le recours au bruitage et aux dialogues dans ses chansons fait que leur mise en clip est très réussie.
On se rappelle le clip de «La part des ténèbres» avec une atmosphère très hitchcockienne qui révolutionna le film musical au Burkina et mit fin au modèle de l’époque qui mettait toujours l’artiste à côté d’un site touristique. Les textes ONG, Carton rouge, Elle avait de Zamana et I-Yamma, Juste 1, Pharma-scie de Code noir sont des scripts qui passent aisément en images.
Pour la thématique, Smockey explique ironiquement dans un de ses textes qu’il ne peut chanter «l’océan bleu, le ciel bleu ou les yeux bleus de Thérèse parce que le ciel est noir de gaz des motos, les yeux de Thérèse sont rougis par la poussière et il n y a encore pas de mer dans [son] quartier ». Pour dire que son art parle de sa réalité sociale et se veut utile.
Quand un thème s’impose à lui d’une façon ou d’une autre, il le porte jusqu’à mûrissement et ne couche rien sur le papier tant qu’il ne trouve pas la musique qui se prêterait à cette thématique. La musique, une fois trouvée, vient la recherche du refrain qui sied à cette musique et enfin la pêche aux couplets qui sertiront parfaitement la bande musicale.
Comme on le voit, ce procès d’écriture est peu courant ; la plupart des rappeurs trouvent d’abord un texte qu’ils habillent musicalement après. C’est un exercice très difficile qui consiste à chercher le mot juste au niveau du sens et de la sonorité, à réussir l’ordonnancement de ces mots dans une phrase qui s’emboîte sans dysharmonie entre deux beats.
Smockey construit ses textes comme un gamin déterminé assemble un puzzle ou un Lego. C’est en cela qu’il y a dans ses textes quelque chose qui rejoint la simplicité des comptines de l’enfance malgré le message fort qui interpelle l’adulte. Ce qui explique que le mélomane fredonne parfois ces refrains sans pour autant partager le message que véhiculent ses textes. Un message de plus en plus altermondialiste avec tous les risques d’enrégimentement qui guettent l’artiste.
Le secret du succès de Smockey se trouve peut–être dans la faculté de l’artiste «de garder dans sa main d’adulte celle de l’enfant qu’on a été», ainsi que le recommandait Cervantès. Et de toucher pour cela en chaque homme malgré sa carapace d’adulte, l’enfant qui s’y cache.
Barry Saidou Alceny
L’Observateur Paalga du 12 avril 2007
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