L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Thomas Sankara à Halidou Ouédraogo : "Grand frère, quand est-ce que toi tu fais ta révolution ?"

Sankara à  Halidou 

"Grand frère, quand est-ce que toi tu fais ta révolution ?"

 

Jeudi 27 septembre ; 10 heures. Nous sommes à Pissy au domicile d'Halidou Ouédraogo pour évoquer avec lui, les douloureux événements du 15 octobre 1987.

Et c'est un Halidou tout heureux que nous avons trouvé dans son bureau. Et pour cause, il venait juste de gagner un procès à l'issue duquel un de ses clients devrait empocher au bas mot la rondelette somme de 500 millions FCFA.

Mais quoi qu'on dise, celui qui passait pour être le président du "pays réel" revient de loin.

En effet, après sa rupture d'anévrysme, l'homme à qui on avait diagnostiqué une paralysie irréversible recouvre graduellement ses potentialités physiques. C'est donc tout détendu que nous avons parlé de Thomas Sankara, de Blaise Compaoré et de bien d'autres faits environnementaux de cette fameuse date du 15 octobre 1987. Entretien.

 

 

Comment se porte Halidou Ouédraogo présentement ?

 

• Ça va de mieux en mieux. Je retrouve progressivement ma forme d'antan. On m'avait annoncé une paralysie irréversible, mais je vous assure que je recouvre mes potentialités physiques. Je suis astreint à une rééducation quotidienne de 4 heures. Mais ça ne suit pas parce qu'il faut des moyens financiers, ce qui me fait défaut actuellement pour faire face à cette rééducation. Beaucoup de gens m'ont promis leur aide, qui, à ce jour, se fait attendre. Je ne désespère cependant pas de marcher  à nouveau un jour sans canne.

 

Dans quelques jours, nous célébrons le 20e anniversaire du 15-Octobre qui marque pour certains la prise du pouvoir par Blaise Compaoré et pour d'autres l'assassinat de Thomas Sankara. Pour vous, qui était Thomas Sankara ?

 

• J'ai connu Sankara à travers les événements qui ont précédé son arrivée au pouvoir. A l'époque, nos relations étaient assez timides. Par la suite, nous avons entretenu des relations normales qui se sont dégradées après. Moi je suis magistrat de formation et je suis rentré au pays en 1977.

J'ai fait Gaoua, puis j'ai été affecté à Fada N'Gourma. C'est de là qu'un soir sur ma terrasse, j'ai suivi la déclaration du 4 août 1983. Concernant Sankara, je rappelle quand même deux événements.

Les régimes du CSP I et du CSP II dirigés par Jean-Baptiste Ouédraogo avaient posé un certain nombre d'actes qui avaient beaucoup de conséquences sur ma profession. C'était l'époque où nous venions de monter le SA.MA.B (NDLR : Syndicat autonome des magistrats burkinabè), et nous étions à la recherche de récépissé de reconnaissance. A l'époque, Harouna Moné Tarnagda qui était ministre de l'Intérieur nous avait refusé le récépissé. Une fois hors de son bureau, nous avons été voir Thomas Sankara, à l'époque Premier ministre. Nous avons rencontré Fidèle Toé qui était alors son directeur de cabinet. Nous avions voulu faire une demande d'audience. Mais  Sankara qui nous a entendu parler nous a reçu tout de suite et ce, pendant 4 heures. En nous disant au revoir, il m'a interpellé en me disant "grand-frère, quand est-ce que toi tu fais ta révolution ?". Je lui ai  rétorqué que moi, je n'avais que le Code pénal. Nous avons rigolé et nous nous sommes dit au revoir. Le lendemain, j'ai appris à Fada son arrestation. C'était le 17 mai 1983.

C'est ainsi que les tenants du pouvoir ont libéré les dignitaires de la IIIe République tels Gérard Kango Ouédraogo, Issoufou Joseph Conombo et les magistrats qui avaient leurs dossiers ont démissionné.

La crise étant ouverte, nous avons demandé un Conseil supérieur de la magistrature.

C'est pourquoi le Président Jean-Baptiste Ouédraogo a convoqué le CSM. C'était le 27 juillet 1983.

Ce fut houleux et à la fin de ce conseil, moi je suis reparti à Fada. Sankara avait un cousin du nom de Adama, qui était douanier. Un soir, ce dernier est passé chez moi pour me dire que Sankara souhaitait me voir parce qu'il a appris ce qui s'est passé au Conseil supérieur de la magistrature. Je lui ai dit que ce que nous avons fait était logique et nous devrions le faire pour tout événement qui mettait en danger la République. Je lui ai dit que ce n'est pas parce que c'est lui Sankara, mais nous le ferions pour n'importe quelle autre personne. Une semaine après, je suis allé le voir en sa résidence surveillée. J'ai trouvé quelqu'un d'ouvert, d'agréable.

Après cette session du Conseil supérieur de la magistrature, on m'a nommé conseiller juridique à la Présidence sous Jean-Baptiste Ouédraogo. J'ai décliné l'offre et je suis retourné à Fada, à mon poste.

Après le 04 août 1983, j'ai reçu un envoyé du Conseil national de la Révolution (CNR), qui souhaitait me rencontrer. Le lendemain, j'ai quitté Fada pour Ouaga et Sankara m'a reçu au Conseil de l'Entente. Un entretien de 6 heures.

Il m'a dit qu'au nom de ses camarades Blaise Compaoré, Henri Zongo, Jean-Baptiste Lingani, il voulait que je dirige la Justice en tant que ministre. Je lui ai dit que je n'étais pas preneur. Je lui ai dit que le régime du CNR est issu d'un coup d'Etat et que j'étais assez républicain pour  accepter ce poste. Qui pis est, lorsqu'il m'a présenté la liste de son gouvernement, j'ai vu des noms de personnes avec lesquelles j'ai eu maille à partir par le passé et avec lesquelles je ne souhaitais pas collaborer.

J'ai demandé à Sankara de chercher un autre pour être ministre de la Justice. Il m'a dit ceci : "Vous avez été très franc et si chacun était comme vous, le pays allait faire un bond en avant".

En 1985, on m'a de nouveau proposé le poste de ministre des Affaires étrangères. J'ai décliné encore l'offre.

Et dans le cadre du mouvement des magistrats, on m'a consulté pour être président du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou. Arrivé à Ouaga, c'est Blaise Compaoré qui me reçoit et me dit que je dois aller plutôt à la Cour d'Appel comme Président. Je lui ai dit que je ne pouvais pas assumer ce poste, car j'y ai mes aînés. La magistrature, c'est comme l'armée, où prévaut le critère du "plus ancien dans le grade le plus élevé". Il m'a dit que mes aînés vont à la Cour suprême et c'est ainsi que j'ai accepté le poste. Un an après, cumulativement avec mes fonctions, j'ai été appelé au niveau des Tribunaux populaires de la Révolution (TPR) où j'ai eu à côtoyer Sankara et je l'ai mieux connu.

 

C'est ainsi donc que vous vous êtes retrouvé conseiller à la Présidence du Faso ?

 

• Non, ça, c'était après le 15-Octobre. Et c'était le début d'un long calvaire. Parlant des TPR, j'ai eu comme premier dossier, celui de Lamizana que j'ai acquitté, comme chacun le sait, au terme du procès.

Le CNR n'était pas content. Pendant le procès, il y a eu des pressions de toutes sortes et malgré cela, je l'ai acquitté. J'ai même à l'occasion reçu un coup de fil de Sankara à ce sujet. Plus encore, un jour, le commandant Jean-Baptiste Lingani m'a apporté des télégrammes des présidents Diouf, Eyadéma et Houphouët-Boigny qui me félicitaient d'avoir dit le droit. Sous la Révolution, j'ai dû faire deux ans de clandestinité, car ma tête avait été mise à prix. Après, je suis resté en résidence surveillée du 10 juin 1987 au 15 octobre 1987.

Deux jours après le 15 octobre 1987, Blaise a cherché à me voir et je l'ai rencontré. Il m'a expliqué les conditions dans lesquelles les choses se sont passées. Et il m'a demandé de venir à la Présidence puisque je ne pouvais plus retourner au Palais de justice. C'est ainsi que je me suis retrouvé là-bas.

 

Qu'est-ce que Blaise vous a confié que nous ne sachions pas déjà sur la mort de Thomas Sankara ?

 

• Ce qu'il m'a dit, c'est ce que tout le monde sait à présent.  Seulement moi, je l'ai su le 17 octobre lorsque Blaise m'a reçu. Véritablement ce qu'il m'a confié est tombé maintenant dans le domaine public. C'est connu de tous, car le 15-Octobre, on en parle depuis 20 ans.

 

Avez-vous connu Blaise Compaoré avant Sankara ?

 

• Oui, j'ai rencontré Blaise Compaoré la première fois au Camp militaire de Bobo en juillet 1982. J'avais un frère, le commandant Amadou Sawadogo (NDLR : gendre de Gérard Kango Ouédraogo, assassiné en 1984) que j'étais venu voir en partance pour mon mariage à Gaoua. C'est lui qui m'a présenté Blaise Compaoré.

 

Avez-vous senti venir le 15-Octobre ?

 

• Nous avons vécu cette atmosphère parsemée de tracts, de déclarations et autres. Avant le 15-Octobre, il y avait une foison de tracts qui s'en prenaient à Thomas Sankara ou à Blaise Compaoré. Moi j'étais en résidence surveillée.

Mais, à dire vrai, je ne m'attendais pas à ce dénouement sanglant.

 

Comment avez-vous accueilli alors la mort de Sankara. Avec soulagement, puisque vous vous disiez persécuté entre-temps, ou avec regret ?

 

• Sa mort m'a beaucoup affecté surtout avec la brutalité dans laquelle elle est survenue. Et cela m'a rappelé les discussions que j'ai eues avec lui à propos des TPR et bien d'autres sujets.

Sur les TPR, j'avais eu à juger Marie Madeleine Koné qu'on traînait à la barre pour avoir cassé 27 assiettes de de sa villa de fonction lorsqu'elle était ministre. J'ai dit à Sankara que je n'avais que faire de ce dossier parce qu'il était vide et je l'ai relaxée.

L'autre dossier, c'était le dossier Gérard Kango Ouédraogo (GKO). Pour ce dossier, Sankara et Blaise sont passés chez moi. Je leur ai dit que je ne peux pas juger mon oncle. Si je le condamnais, le chemin du Yatenga me serait désormais fermé. Si, je l'acquittais, c'est le chemin du Burkina qui me serait fermé. Entre GKO et moi, c'est la famille. Et Blaise a eu à dire que j'ai parfaitement raison. La mort de Sankara a été un véritable gâchis.

 

A tort ou à raison, on vous a imputé la paternité du Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV). Pouvez-vous nous en dire un mot ?

 

• (Rires). Le PCRV est un parti clandestin, mais connu de tous les Burkinabè. A ce titre, je connais le PCRV,  à travers ses déclarations, ses prises de position que j'apprécie énormément parce que ce sont des prises de position responsables. Je me dis par ailleurs que ceux qui élaborent les déclarations du PCRV sont des gens responsables. Cela dit, au sein du mouvement étudiant, nous avons contribué à des discussions fort nourries sur la manière de gérer notre pays, l'Afrique, voire le monde.

Vous savez, je suis très occupé pour en même temps diriger le PCRV.

 

Alors, vous n'en êtes même pas simple militant ?

 

• Non, je ne peux pas vous répondre par l'affirmative.

 

Donc vous démentez être du PCRV ?

 

• Je ne vous répondrai pas par la négative non plus. Je vous ai dit seulement que j'admire le PCRV et les Burkinabè ont fini par me cataloguer dans ce courant d'idées. Et je ne le regrette pas. Mais se réclamer de la paternité d'un parti communiste, c'est trop de responsabilité et je ne sais pour quelles raisons les gens m'assimilent à ce parti. Et puis, entre nous, la liberté d'association est tout de même reconnue au Burkina !

Dans notre pays et autour de nous, nous avons des calvinistes, des franc-maçons et des agents d'Al Qaïda, qui les importunent  ?

Prochainement, vous lirez Achille Tapsoba, philosophe de formation, CDR dès les premières heures de la révolution aujourd'hui député CDP.

 

 

Entretien réalisé par

Boureima Diallo

L’Observateur Paalga du 2 octobre 2007



02/10/2007
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