"Une acrobatie juridique du Conseil des ministres"
Sanction aux affaires étrangères
"Une acrobatie juridique du Conseil des ministres"
Yelbi Pierre Nassa, juriste d'entreprise à Nice en France, appporte ici sa contribution dans le débat sur les sanctions du Conseil des ministres contre les militants du Syndicat autonome des agents du Ministère des Affaires étrangères (SAMAE).
Le Conseil des ministres du 23 mai dernier a pris des sanctions contre des agents du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale qui ont participé à une marche organisée par leur syndicat (le Syndicat autonome des agents du ministère des Affaires étrangères, SAMAE) le 10 avril dernier pour revendiquer de meilleures conditions de vie et de travail. Ces sanctions sont motivées, selon le Conseil des ministres, par le fait que "les participants aux manifestations de rue du 10 avril 2007 ont manqué aux règles administratives et à l’éthique du corps de la diplomatie, et cela jette un discrédit sur l’ensemble des composantes de la diplomatie burkinabè tout en constituant une faute d’une extrême gravité". Conséquences, 35 agents s’étant repentis par la suite écopent d’"un avertissement avec maintien à leur poste" de travail, tandis que 105 agents qui persistent dans une attitude de défiance à l’égard de l’Administration s’en sortent avec "un blâme avec reversement au ministère de la Fonction publique et de la Réforme de l’Etat pour redéploiement dans d’autres administrations".
Voilà ainsi réglée la crise qu’on pouvait qualifier d’anodine, mais que M. Youssouf Ouédraogo, alors ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères, a étatisée. Que d’intolérance ! Dans cette affaire, ce qui choque le plus est cet entêtement du Conseil des ministres à infliger des sanctions illégales à tout point de vue aux agents "marcheurs" du MAECR. D’abord, le gouvernement devrait savoir que des sanctions de premier degré sont prononcées par les supérieurs hiérarchiques directs et non par le Conseil des ministres. En l’espèce, ce devrait être les différents directeurs qui infligent la sanction aux agents fautifs. Le Conseil des ministres se devait donc de se concentrer sur des affaires plus sérieuses et plus urgentes que de bander les muscles sur des travailleurs innocents qui n’ont fait que réclamer de meilleures conditions de vie et de travail.
Ensuite, le Conseil des ministres qui a qualifié l’action des agents du MAECR de manquement "aux règles administratives et à l’éthique du corps de la diplomatie burkinabè tout en constituant une faute d’une extrême gravité" devrait savoir qu’il y a là une contradiction flagrante qui jette un discrédit sur sa bonne foi et son objectivité dans la gestion de cette crise. En effet, comment des agents auteurs d’une faute d’une extrême gravité peuvent-ils recevoir des sanctions de premier degré ?
La loi 013-98 du 28 avril 1998 portant régime juridique applicable aux emplois et aux agents de la Fonction publique est claire à ce propos : selon son article 139, l’avertissement et le blâme sont des sanctions disciplinaires de premier degré. Elles sont donc moins graves que celles de second degré, à savoir l’exclusion temporaire des fonctions de seize (16) jours au minimum, et de trente (30) jours au maximum, l’abaissement d’échelon, la mise à la retraite d’office et la révocation sans suppression du droit à la pension. Il faut noter au passage que cette loi 013-98 du 28 avril 1998 est la seule qui s’applique aux agents du MAECR. En clair, ils n’ont pas de statut particulier, à l’instar des magistrats et autres. Il aurait fallu donc que les agents fautifs se voient infligés des sanctions de second degré. Du reste, parcourez un peu ladite loi, vous vous rendrez compte que nulle part ailleurs il n’est prévu de sanctions de type "Avertissement avec maintien à son poste de travail" ou "Blâme avec reversement au ministère de la Fonction publique et de la Réforme de l’Etat pour redéploiement dans d’autres administrations". Alors, d’où est-ce que M. Youssouf Ouédraogo et le Conseil des ministres ont tiré ces sanctions ? Qu’ils ont l’imagination fertile ! Cette affaire semble recevoir une gestion plus politique que juridique ou disciplinaire. Et si les agents concernés avaient la présence d’esprit de saisir les juridictions administratives, il est fort à parier qu’ils auront gain de cause à la grande honte du Conseil des ministres. Mais, si d’aventure ils n’avaient pas gain de cause devant les juridictions administratives, cela jetterait encore un discrédit sur notre justice, déjà décriée, du reste.
Au-delà de ces incohérences juridiques criardes, et de l’illégalité manifeste de ces sanctions, il faut déplorer le silence coupable d’un certain nombre d’acteurs qui auraient pu peser de tout leur poids pour empêcher ou critiquer une telle décision du Conseil des ministres.
D’une part, il est difficile de croire en effet que d’éminents juristes ministres, présents lors du Conseil des ministres du 23 mai 2007, au cours duquel ces sanctions ont été prises, se soient tus pour laisser passer lesdites sanctions. Il en est ainsi de M. Lassané Sawadogo, ministre de la Fonction publique, de M. Jérôme Bougouma, ministre du Travail et de la Sécurité sociale, de Mme Monique Ilboudo, ministre de la Promotion des droits humains, de Salif Diallo, ministre de l’Agriculture et des Ressources halieutiques, tous docteurs en droit, et de Me Gilbert Noël Ouédraogo, ministre des Transports, et M. Boureima Badini, ministre de la Justice, garde des Sceaux, respectivement avocat et magistrat de leur état. C’est assez surprenant que tout ce beau monde se soit sinon rallié à une telle décision, du moins illustré par leur silence assourdissant au regard du caractère intrinsèquement "crisogène" de ces mesures dont il sied ici de relever la disproportionalité. En effet, ils auraient pu éclairer la lanterne du natif de Tikaré que les mesures qu’il proposait pour gérer la marche des agents du MAECR étaient contraires à l’esprit et à la lettre de la loi 013/98 et contre les libertés syndicales.
D’autre part, il est à déplorer le silence inexpliqué des différents journaux de la place. La question me semble d’une importance capitale qu’elle devrait faire l’objet de beaucoup plus d’écrits de la part des quotidiens et hebdomadaires. C’est quand même les droits de 105 travailleurs qui sont bafoués au vu et au su de toute l’opinion publique nationale et internationale.
Du reste, il y a comme une justice à double vitesse dans la gestion des crises au Burkina Faso. Récemment, la crise militaro-policère a donné des sueurs froides à tout le monde, allant jusqu’à faire reporter les sommets de la CEDEAO et de l’UEMOA qui devaient se tenir à Ouagadougou, mais le gouvernement n’a sanctionné personne. Au contraire, militaires et policiers ont été gratifiés d’avantages divers bien au-delà de leurs attentes. Plus récemment encore, les travailleurs du centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo de Ouagadougou ont marché et bloqué la porte de l’hôpital, empêchant tout malade d’y avoir accès ou d’en ressortir. Là encore, personne n’a été sanctionné. Alors, dites-moi qui des militaires et des policiers, des travailleurs de l’hôpital ou des agents du MAECR a le plus manqué aux règles administratives et à l’éthique de son corps. Qui de ces différents corps s’est rendu auteur d’une faute d’une extrême gravité ?
Qu’à cela ne tienne, le mal est déjà fait, et il faut dès à présent rechercher à réparer les torts causés aux agents du MAECR. C’est peu que de dire en effet que c’est dans un véritable sac à crabes dans lequel personne n’a daigné s’aventurer qu’a plongé la main le colonel de gendarmerie Djibrill Bassolé. D’abord, il devra faire face à un déficit en ressources humaines, soit un manque à gagner de 105 agents déjà reversés au ministère de la Fonction publique et de la Réforme de l’Etat. Les agents qui restent à leur poste risquent d’être débordés par le travail quotidien. Ensuite, il devra gérer un climat de suspicion entre les directeurs, les agents repentis et les agents qui n’ont pas du tout été impliqués dans cette crise. Enfin, il devra procéder à une réaffectation interne des agents pour combler les postes vacants laissés par les partants, toute chose qui risque fort de rendre mécontents les agents qui se seraient repentis ou qui ne se seraient pas impliqués dans la crise, dans le but de sauvegarder leur poste "juteux".
On le voit, la tâche ne sera pas de tout repos pour le nouveau ministre qui doit certainement être en train de se demander comment redynamiser un ministère plongé dans le chaos, gérer les humeurs des uns et des autres, faire face au flux important de travail avec un effectif d’agents réduit, comment ramener la sérénité et la confiance mutuelle au sein de ce ministère, comment ramener le ministère à son niveau d’antan.
Autant de problèmes auxquels le nouveau ministre va devoir trouver des solutions idoines à même de ramener la paix dans le département. Nul doute que les 105 agents exclus de leur ministère d’origine se battront pour revenir à la maison. Bien que ceux-ci puissent et aient toutes les chances de se faire justice devant les juridictions administratives, il serait plus judicieux pour le nouveau ministre Djibrill Bassolé de procéder à une amnistie et à un rappel à la maison de tous les agents concernés, ne serait-ce qu’en invoquant la clémence du gouvernement, comme il a eu à le faire déjà avec les élèves policiers quand il était ministre de la Sécurité. L’occasion serait alors donnée au nouveau ministre de ramener la sérénité et la tranquillité dans la maison.
En définitive, il faudrait que les premiers responsables de notre pays, qui se veut être un Etat de droit, commencent par respecter les droits individuels et collectifs. C’est de cette manière que l’on acquiert la culture du respect des droits de l’homme et des libertés individuelles et collectives ; car, si l’on n’est pas fidèle en de petites choses, on le sera moins dans de grandes choses. Le degré de la culture de l’arbitraire au Burkina est comparable au degré de la culture du respect des droits dans les pays du Nord. Ce sont des situations comme celle-là qui ne nous encouragent pas, nous autres Burkinabè expatriés, à revenir vivre au bercail. Alors, à quand un Burkina Faso où les droits élémentaires de chaque citoyen sont respectés ?
Yelbi Pierre Nassa
Juriste d’entreprise à Nice (France)
Le Pays du 19 juin 2007
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