Y-a-t-il trop d’impôts au Burkina ?
Obligations fiscales
Y-a-t-il trop d’impôts au Burkina ?
Il est communément admis (à tort ou à raison) que les Burkinabè (et les Africains en général) ne sont pas spontanément très respectueux de leurs obligations fiscales. Autrement, le civisme fiscal n’est pas la chose la mieux partagée et la plus compréhensible dans nos pays. Parmi les causes ou les griefs évoqués par les contribuables, il y a la quantité d’impôts et de taxes. En somme, certaines personnes (physiques ou morales du reste), pour ne pas payer leurs impôts, disent qu’il y a trop d’impôts et "qu’elles passent leur temps à courir à gauche et à droite pour payer leurs impôts et taxes". Qu’en est-il en réalité ? Lisons l’avis de notre collaborateur en fiscalité.
La question de savoir si les contribuables sont soumis ou pas à beaucoup d’impôts et de taxes n’est pas propre aux pays africains, encore moins au Burkina Faso. Il faut prendre en compte un certain nombre de considérations, toutes liées à la quantité et la qualité de la matière imposable. Ainsi, quelques caractéristiques du système fiscal burkinabè doivent être intégrées dans le débat.
1 - Quelques principes
Parmi les caractéristiques du système fiscal burkinabè, il y a, d’une part, qu’il est déclaratif, et, d’autre part, qu’il est cédulaire. La nature déclarative implique que c’est au contribuable de se déplacer vers l’administration fiscale pour déclarer ses revenus et payer les impôts et les taxes correspondants. Une certaine confiance est faite au contribuable, car personne d’autre que lui-même ne connaît avec exactitude ses biens et autres revenus à fiscaliser. Si dans la réalité, l’administration fiscale se déplace de temps en temps (par exemple pour l’évaluation de la matière imposable et le recouvrement de la contribution du secteur informel notamment), ce principe ne permet pas toujours d’appréhender tous les contribuables et toutes les matières imposables, quand on connaît les moyens dont disposent les services chargés de la collecte des informations. La deuxième caractéristique est que le système fiscal burkinabè est cédulaire. Une cédule peut être définie comme une partie de quelque chose, un morceau de revenu ou de bien. Appliqué sur le plan fiscal, c’est chaque cédule de revenu ou de bien qui est frappé par un impôt particulier. Autrement, chaque revenu obtenu est touché par un impôt ou une taxe. Lorsque le contribuable gagne un revenu ou un bien imposable, il est touché par un impôt ou une taxe qui doit correspondre à sa capacité contributive. Cela veut dire que si le contribuable possède plusieurs revenus de sources différentes, il est susceptible de payer autant d’impôts. S’il obtient, par exemple,
Ce choix du système cédulaire de la fiscalité burkinabè, qui tire ses origines du système fiscal français, comporte ses avantages et ses inconvénients. Il s’oppose à un système de type général, où le contribuable paiera un ou deux impôts maximum pour l’année ou la période déterminée. En somme, on ne ferait plus de différences selon les sources de revenus pour imposer un contribuable, mais c’est le contribuable lui- même qui sera le point focal ou le critère d’imposition. Si cette version est séduisante pour certains analystes, elle comporte plus d’inconvénients que d’avantages. La preuve est qu’elle n’existe pratiquement dans le monde, sauf qu’elle a été expérimentée dans certains Etats aux Etats-Unis.
La nature déclarative et le système cédulaire qui caractérisent le système fiscal burkinabè génèrent bien de difficultés pour le contribuable, à qui il est demandé de se déplacer et qui est imposé chaque fois que ses revenus proviennent de sources différentes. Il a donc l’impression de payer beaucoup d’impôts et de taxes et parfois même qu’il paie plus qu’il n’en faut. Mais en essayant de comprendre le système fiscal tel qu’il est conçu, il importe de faire un bémol à cette appréciation de certains contribuables.
2 - La situation actuelle
Dans la réalité, le système fiscal burkinabè ne laisse pas un revenu non imposé. De nombreux revenus sont expressément imposés par un impôt spécifique. Par exemple, les bénéfices de l’entreprise sont frappés par l’impôt sur les bénéfices industriels, commerciaux et agricoles (IBICA), les revenus fonciers sont touchés par l’impôt sur les revenus fonciers (IFR), etc. Même quand l’impôt n’est pas nommément précisé, il faut se référer à l’impôt sur les bénéfices des professions non commerciales (IBNC) qui touchent, entre autres, les revenus ou les sources de profits non soumis à un impôt spécial sur le revenu. Autrement, lorsque le contribuable constate que ce qu’il gagne n’est pas concerné par un impôt précis dans le code des impôts, il doit se référer à l’IBNC. Cet impôt, dans son dernier alinéa, permet de prendre tous les autres revenus (certains diraient que c’est un alinéa "fourre tout"). Si cela constitue un avantage pour certains, n’est-ce pas une solution de facilité, du fait qu’il est difficile de caractériser certains revenus, du fait que tous les revenus dont la nature juridique est discutable ne sont pas pris toujours pris en compte, avec la conséquence que de nombreux contribuables ne se retrouvent ou ne se sentent pas concernés par cet alinéa ? Certaines questions semblent tabous dans notre législation fiscale. C’est le cas des revenus issus des métiers du charme corporel.
La question de savoir s’il y a trop d’impôts ou pas est récurrente dans tous les systèmes fiscaux. Peu d’impôts entraîne une injustice fiscale du fait que certains contribuables ou revenus échappent à l’administration fiscale, et la charge fiscale est reportée sur les contribuables ou les revenus connus, d’où l’impression de la sur- imposition que des contribuables croient percevoir, avec le risque de l’incivisme fiscal. En revanche, trop d’impôt tue l’impôt et crée le risque de paralysie de l’économie. Il faut donc trouver le juste milieu.
Pour répondre précisément à la question de savoir s’il y a trop d’impôts au Burkina, il faut donc prendre en compte ces différents éléments. Sur le plan textuel, on ne peut pas affirmer qu’il y a trop d’impôt, du fait qu’il existe encore des revenus ou des contribuables mal appréhendés par l’administration fiscale. Au contraire, il importe de s’interroger sur la nécessité de mieux prendre en compte tous les revenus et tous les contribuables, en ayant des textes qui "collent" à leurs réalités, avec des textes moins généralistes, qui donnent des marges de manœuvre dans leur interprétation, avec le risque donc d’une injustice pour certaines parties (aussi bien pour le contribuable que pour l’administration fiscale). Un projet de loi portant sur le code général des impôts et le livre de procédures fiscales sera bientôt discuté à l’Assemblée nationale.
Amadou N. YARO
Professeur,
Directeur général du Centre d’enseignement à distance de Ouagadougou
Le Pays du 10 janvier 2008
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